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AFFAIRE AXELLE DORIER : SELECTION DES VICTIMES ?

Gabriel Versini - Affaire Axelle Dorier : selection des victimes

Personne ne parle de mon fils parce qu’il ne vient pas d’une cité mais d’une petite commune ?»

Gabriel Versini - Affaire Axelle Dorier : selection des victimesGabriel Versini - Affaire Axelle Dorier : selection des victimes

EXTRAIT REPONSE MAITRE GABRIEL VERSINI AVOCAT DES PARENTS D’AXELLE DORIER

Enzo Parissot, Axelle Dorier, Adrien Pérez…. Ces nombreuses victimes qui n’ont suscité aucune indignation politico-médiatique

RÉCIT – Leur mort n’a pas fait la une de l’actualité ni donné lieu à des messages de compassion au plus haut sommet de l’État. Certaines familles de victimes dénoncent une indignation sélective.
Ils s’appelaient Enzo Parissot, Axelle Dorier ou encore Adrien Pérez. Leur mort n’a pas fait la une de l’actualité ni suscité de réactions dans la classe politique, à quelques exceptions près. Quant aux artistes ou aux sportifs, souvent prompts à s’indigner sur les réseaux sociaux, ils n’ont eu aucun mot de compassion pour eux.
Dans un entretien exclusif accordé au Figaro, la mère du jeune Enzo, un adolescent de 15 ans récemment tué à coups de couteau dans une petite commune de l’Eure, s’interrogeait : «Pourquoi ne parle-t-on pas de mon fils ? Parce qu’il ne vient pas d’une cité mais d’une petite commune de 1400 habitants ? Parce que nous sommes restés dans le respect, le silence et le calme ? Pourquoi notre chef de l’État ne vient pas nous rendre hommage ?». Quelques jours avant cet entretien, la mère du jeune homme avait publié un message de la même teneur sur LinkedIn. «Les politiciens, les footballeurs, les stars, vous êtes où ?», questionnait-elle.
Le ressenti de la mère d’Enzo n’est pas un cas isolé. En juillet 2020, Axelle Dorier, une esthéticienne de 22 ans, perdait la vie dans d’atroces souffrances après avoir été traînée sous les roues d’une voiture sur plus de 800 mètres. «J’ai remarqué quelque chose que j’ai pris pour un pantin. Cette forme ne ressemblait pas une personne», dira même un témoin aux policiers après avoir découvert son cadavre. Deux cousins, Youcef Tebbal et Mohamed Yelloule, ont été condamnés en janvier 2023 à douze ans et cinq ans de prison.
«Heureusement que Le Figaro et Valeurs Actuelles étaient présents à l’audience sinon on n’aurait pas du tout parlé de ce procès. On n’a pas suffisamment parlé de ce crime. L’horreur n’affecte visiblement pas une certaine presse et le monde politique», estime Me Gabriel Versini-Bullara, l’avocat de la famille Dorier. «Il y a une subtile dichotomie faite par certains organes médiatiques, et le monde politique, entre les victimes légitimes et celles qui ne le sont pas. Dans d’autres configurations factuelles, les projeteurs auraient été grandement allumés sur cette pauvre Axelle Dorier», poursuit l’avocat. Aucun responsable politique ne s’est jamais manifesté auprès de la famille de la jeune femme.
Adrien Perez, lui, est mort le 29 juillet 2018. Ce jour-là, vers 5h30 du matin, le jeune homme sort de la discothèque «Le Phoenix», située à Meylan (Isère), où il vient de fêter ses 26 ans. Alors qu’il prend la défense d’un de ses amis, il est poignardé en plein cœur. Yanis et Younès El Habib, deux frères de 22 et 23 ans, ont été condamnés en juillet 2021 à quinze ans de réclusion criminelle.

Indignation sélective

«Nous avons médiatisé lassassinat de notre fils sinon personne n’en aurait parlé et ça aurait été fini», explique au Figaro Patricia Perez, la mère d’Adrien. «Adrien aimait la vie. Il était chargé d’affaires et était promis à un bel avenir. On lui a tout enlevé, pour rien, car il s’est interposé pour défendre un ami. Tous les jours je vais au cimetière voir mon petit avant d’aller au travail. Nous avons pris perpétuité, on survit à la mort de notre fils», poursuit Patricia, des sanglots dans la voix.
La mère d’Adrien dénonce l’indifférence de la classe politique, notamment au plus haut sommet de l’État, envers les victimes. «On reste des faits divers. On est les grands oubliés de la mort de nos enfants, c’est de pire en pire», estime-t-elle. «Notre président de la République a une indignation sélective. Est-ce qu’il a eu un mot pour Enzo ? Est-ce qu’il a eu un mot pour notre fils Adrien ? Il n’y a rien eu, aucune compassion», poursuit Patricia.
La mère d’Adrien déplore également l’inaction du gouvernement en matière d’insécurité. Un deuxième abandon, insupportable, à ses yeux. «Depuis la mort d’Adrien, rien n’a changé. Ça continue encore et encore. Qu’est-ce que le gouvernement attend pour agir ? On parle beaucoup des violences policières mais ce n’est pas la police qui a tué Adrien ou Enzo. Il y en a assez de tous ces enfants qui se font tuer pour rien par des gens inhumains. Le président de la République doit protéger le peuple, les enfants de France», estime-t-elle.
Dans la longue liste des victimes, mortes dans une sorte d’indifférence politique et médiatique, il y eut aussi Timothy Bonnet, un jeune homme de 19 ans tué gratuitement par un Afghan à Villeurbanne en 2019 ou encore Alban Gervaise, un médecin militaire poignardé à Marseille en allant chercher ses enfants à l’école en 2020.

«Climat d’attente» et réseaux sociaux

Peut-on parler vraiment d’une indignation médiatique à géométrie variable ? Pour Jean-Marie Charon, sociologue des médias, «la manière dont les rédactions trient et sélectionnent les sujets est un sujet assez complexe sur lequel on ne peut que poser des hypothèses». «Lorsqu’on suit les dépêches d’agences, l’accumulation de faits divers est impressionnante», constate-t-il.
«Concernant l’affaire Enzo, nous sommes, hélas, dans la récurrence d’un certain nombre de faits : des bagarres entre jeunes qui se terminent par la mort d’un jeune. C’est devenu une triste banalité. Et puis ça se passe dans l’Eure, dans un endroit avec une moindre visibilité. Quand vous êtes dans une rédaction, vous allez en parler mais dans un flash radio ou une brève en presse écrite», estime le sociologue. «Lorsqu’il y a des morts de jeunes dans les banlieues marseillaises, leur vécu est noyé et on ne donne même plus leur nom», remarque Jean-Marie Charon.
Pour le sociologue, l’émergence médiatique d’un fait divers est notamment liée à ce qu’il appelle «un climat d’attente». «Nous avons des stéréotypes, omniprésents dans nos représentations du fonctionnement de la société, qui vont se concrétiser dans la réalité par un fait divers», explique Jean-Marie Charon. Il cite la récurrence des tensions entre les jeunes de banlieue, issus de l’immigration, et la police. «Je suis sensible à ce qui peut être générateur de représentations ayant une certaine permanence. Ce face-à-face entre les jeunes et la police fait tout de suite image. Il y a un jeu d’acteurs dans les rédactions et de beaucoup de gens dans la société. Ces sujets-là reviennent sans arrêt dans l’actualité avec le même schéma : la mort d’un jeune, des tensions, des risques d’émeutes. Et quand un fait divers se produit, les médias vont y être d’autant plus attentifs», estime le chercheur.
Autre élément avancé par le chercheur pour expliquer l’émergence d’un fait divers : «l’interférence entre les rédactions et les réseaux sociaux». «Avant, on avait une hiérarchie naturelle : les journaux donnaient la force des sujets. En radio et en télé, on démarrait par ce qui faisait la une des journaux. Cette hiérarchie n’a pas totalement disparu mais a été bousculée par le poids que pèsent les réseaux sociaux. Il y a une obsession des médias à surveiller les réseaux sociaux en continu», analyse Jean-Marie Charon. Lorsqu’un fait divers survient, le chercheur évoque l’importance de la réactivité de certains milieux sociaux, qu’ils soient sociologiques ou politiques. À titre d’illustration, on peut citer l’émergence de tendances sur le réseau social Twitter, liée à la mobilisation de certaines communautés. Des tendances que les médias surveillent comme le lait sur le feu.

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